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Paul-Émile Cloutier
Lorsque l’Organisation mondiale de la santé a déclaré que l’épidémie de COVID-19 apparue à la fin de 2019 était dorénavant qualifiée de pandémie, le 11 mars 2020, les Canadiens – comme tous les êtres humains de la planète – ont traité la nouvelle selon un cadre de référence basé sur l’histoire. Leurs attentes étaient liées à leurs expériences les plus récentes du concept de la contagion, notamment à l’épidémie de SRAS de 2003 qui a infecté 8 000 personnes et en a tué 774 à travers le monde, dont 44 Canadiens, ainsi qu’à l’épidémie d’Ébola, concentrée en Afrique de l’Ouest, qui a atteint son apogée en 2014 avant de tuer un total de 11 000 personnes. Aucun Canadien ne comptait toutefois ses victimes.
Compte tenu de notre confiance dans les systèmes de divulgation, de diagnostic, de traitement, d’endiguement et de sensibilisation du public du 21e siècle, qui sont beaucoup plus évolués que ceux dont nous disposions lors de la dernière pandémie mondiale mortelle – l’épidémie de grippe de 1918-1920 qui a tué 50 millions de personnes, dont 50 000 Canadiens – personne parmi nous n’aurait pu prévoir la trajectoire narrative de la COVID-19.
« Nous n’avions jamais vu auparavant de pandémie déclenchée par un coronavirus », a souligné le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, lorsqu’il a déclaré l’état de pandémie ce jour-là à Genève. « Il s’agit de la première pandémie causée par un coronavirus. »
Près de deux ans plus tard, les vaccins ont atténué l’impact de cette pandémie de coronavirus sans précédent en termes de mesures d’endiguement et de mortalité, mais la résistance à la vaccination de certains et la mauvaise gestion ont favorisé la propagation continue de la contagion. Elles ont permis à des variants comme Delta et Omicron de rationaliser les impacts socioéconomiques persistants avec des vagues successives d’isolement, de quarantaine et de confinement.
Le 14 décembre, l’OMS a averti que le variant Omicron se propageait « à un rythme que nous n’avons jamais vu avec aucun autre variant ». L’organisation a appelé les pays à utiliser tous les outils anti-COVID pour éviter que les systèmes de santé ne soient rapidement submergés à l’approche des fêtes de fin d’année. L’OMS a également dressé ce portrait saisissant de l’immunisation mondiale : 41 pays n’avaient toujours pas réussi à vacciner 10 pour cent de leur population et 98 pays n’avaient pas atteint la barre des 40 pour cent.
Alors que nous entamons notre troisième année civile de ce désastre épidémiologique, il est devenu un cliché dans mon domaine de la politique des soins de santé de reprendre le truisme einsteinien selon lequel au milieu de chaque crise se trouve une opportunité. Il convient plutôt d’utiliser un autre mot en « O » : obligation.
En déposant son rapport annuel le 13 décembre dernier, la Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique de l’Agence de la santé publique du Canada, a déclaré : « Il y a un manque de cohérence dans le système de santé publique du Canada … En effet, notre système de soins de santé public se compose d’une série d’éléments incohérents séparés par des clivages juridictionnels et touchés par ‘l’alternance des cycles de financement en santé publique’ selon laquelle les ressources en santé publique sont souvent réduites après les urgences en santé publique ».
Le lendemain, le gouvernement fédéral a déposé sa Mise à jour économique et budgétaire qui comprenait notamment des mesures additionnelles pour aider le Canada à répondre au variant Omicron. Toutefois, l’accent sur les dépenses à court terme ne permet pas de corriger bon nombre des vulnérabilités du système de santé mises en évidence par la pandémie. Le système de soins de santé du Canada et les personnes qui y travaillent ont pourtant désespérément besoin qu’elles soient corrigées. Je l’ai d’ailleurs souligné dans ma réponse à cette Mise à jour à titre de président du groupe qui représente les organisations de soins de santé et les hôpitaux du Canada, ajoutant que « nos dirigeants politiques doivent de toute urgence s’unir pour mettre en œuvre des solutions afin de relever les défis auxquels sont confrontés les soins de santé et la recherche en santé ».
C’est ici que la notion d’obligation entre en jeu. Il y a toujours une tentation, dans l’élaboration d’une politique publique, d’attendre la fin de la phase de gestion de crise pour apporter des changements systémiques; ou, sur le plan des soins de santé, d’attendre que le patient soit stabilisé avant d’effectuer un examen exhaustif des symptômes et de poser un diagnostic éclairé.
Le système de soins de santé du Canada est maintenant le patient dans ce scénario et nos dirigeants politiques n’ont plus seulement intérêt à mettre au point une intervention efficace pour stabiliser le système, ils ont l’obligation de le faire pour ne pas en faire la victime la plus importante et la plus coûteuse de cette pandémie.
SoinsSantéCAN, au nom de la population canadienne, exhorte nos dirigeants politiques fédéraux et provinciaux à se pencher de toute urgence sur les questions qui suivent, idéalement et de façon pratique, dans le cadre d’une conférence des premiers ministres se tenant dans le premier trimestre de 2022.
Une stratégie pancanadienne de planification de la main-d’œuvre en santé : Le gouvernement fédéral doit collaborer avec les provinces et les territoires pour déterminer, prioriser et mettre en place une stratégie nationale visant à remédier aux pénuries systémiques de personnel de la santé. Cette stratégie comporte notamment la collecte de données, l’analyse comparative, la recherche, la coordination interprovinciale de la formation et de la délivrance de permis et d’autres mesures visant à ce que la main-d’œuvre en santé soit en phase avec les besoins des Canadiens. Elle doit également s’attaquer aux facteurs qui contribuent au stress, à l’anxiété et à l’épuisement professionnel chez les travailleurs de la santé et améliorer la diversité, la représentation et l’équité dans le système de santé.
Renforcer la recherche et l’innovation en santé : Les chercheurs en santé et les organisations de recherche en santé du Canada ont joué un rôle inestimable dans la lutte contre la COVID-19. Les innovations et les découvertes importantes qui nous ont aidés à traverser la pandémie sont le fruit de décennies de recherche. Nous devons continuer de soutenir le secteur de la recherche et de l’innovation en santé pour exploiter sa force innovatrice et son pouvoir économique – pour le bien de la santé des Canadiens et de l’économie canadienne.
Améliorer la disponibilité et l’accès aux services en santé mentale : La hausse du taux d’épuisement professionnel chez les Canadiens et les travailleurs de la santé exige que les dirigeants fédéraux, provinciaux et territoriaux exercent un leadership et coordonnent leurs efforts. En plus de mettre en place une stratégie nationale de planification de la main-d’œuvre en santé pour mieux soutenir nos travailleurs de la santé, les gouvernements doivent également élaborer une approche exhaustive visant à améliorer la disponibilité et l’accès aux services de santé mentale pour tous les Canadiens. La nomination d’une ministre fédérale de la Santé mentale et des Dépendances est un bon pas dans cette direction, mais il y a beaucoup à faire pour améliorer l’équité en matière de services en santé mentale à la grandeur du pays.
Des transferts en santé suffisants : Nous avons appris que le Transfert canadien en matière de santé (TCS) s’établira à environ 45,2 milliards $ en 2022-2023, ce qui est beaucoup moins que les quelque 70 milliards $ demandés par les provinces. Comment le gouvernement du Canada pourra-t-il réunir les gouvernements provinciaux et territoriaux à une table nationale pour discuter d’une réforme fondamentale du système de santé public du Canada et de ses composantes provinciales?
Des normes nationales pour une politique de santé en période de pandémie : Il est urgent d’augmenter les transferts en santé aux provinces et aux territoires pour assurer un financement cohérent et à long terme de la santé publique et éliminer les inégalités et les lacunes dans notre système de soins de santé. Cet investissement doit suivre le rythme des coûts et permettre une collecte de données normalisée, en temps opportun et fiable en élaborant un ensemble de principes directeurs dans toutes les juridictions provinciales et territoriales, afin d’aider le Canada à répondre aux épidémies maintenant, et dans le futur.
Depuis des mois, SoinsSantéCAN insiste sur l’importance d’établir un réel dialogue national qui mènerait à une réforme fondamentale du système de soins de santé. Après cinq vagues successives de la pandémie, nous ne pouvons plus accepter l’improvisation qui continue de déstabiliser le système de santé dans tout le pays. Les Canadiens méritent mieux et nous avons l’obligation de le leur offrir.
Paul-Émile Cloutier est le président et chef de la direction de SoinsSantéCAN, le porte-parole national des organisations de soins de santé et des hôpitaux du Canada.