
Alors que le Canada continue de lutter contre la pandémie de COVID-19, la capacité de notre système de santé à faire face à la situation s’approche du point de rupture. La capacité, tant sur le plan de nos infrastructures physiques que du nombre de travailleurs de la santé en première ligne, a été considérablement sollicitée. Les hôpitaux, qui fonctionnent généralement à 100 et parfois même 120 % de leur capacité mettent tout en œuvre pour éviter d’annuler des interventions, mais ils doivent consacrer plus de ressources aux soins des patients atteints de la COVID-19. Les prestataires de soins directs en première ligne travaillent sans répit, souvent jusqu’à l’épuisement.
Le gouvernement fédéral a indiqué dans son discours du Trône que le Canada doit rebâtir en mieux et sortir plus fort de cette crise de COVID-19. Pour rebâtir un meilleur système de santé, le Canada doit commencer aux premières lignes de notre système de soins de santé.
Le niveau de capacité optimal des hôpitaux devrait s’établir en deçà de 85 %, un seuil qui leur permet de faire face à des flambées, comme celle de la grippe saisonnière. Toutefois, depuis le début de la pandémie de COVID-19, les hôpitaux et les organisations de soins de santé du Canada fonctionnent à 100 %, voire 120 % de leur capacité. Cette situation compromet gravement la capacité des établissements de soins de santé d’offrir des soins sécuritaires, efficaces et en temps utile, car des opérations et des traitements sont retardés ou annulés.
Pour remédier à la surpopulation et à la surcapacité, des hôpitaux, partout au pays, ont construit des unités temporaires. Ainsi, l’hôpital d’Ottawa a créé une unité d’urgence de 40 lits dans le stationnement de l’un de ses établissements. À la maison de retraite Village Greystone, à Ottawa, on a créé une unité hospitalière temporaire pour les patients nécessitant d’autres niveaux de soins. Ces nouvelles unités temporaires ont ajouté jusqu’à 160 lits à la capacité de l’hôpital d’Ottawa.
En plus de ces problèmes de capacité physique, le Canada connaît également une importante pénurie de travailleurs de la santé – ceux qui posent les diagnostics, qui traitent et qui soignent les patients; ceux qui travaillent dans les laboratoires; et ceux qui fournissent des services auxiliaires au sein de nos établissements. La pandémie a exacerbé cette pénurie, du fait qu’elle a alourdi une charge de travail déjà lourde et qu’elle a entraîné des sommets dans le stress, l’anxiété et la dépression de nos travailleurs de première ligne si dévoués.
Un sondage effectué auprès de médecins et infirmières prenant soin de personnes atteintes de la COVID-19 en Chine a révélé que 41,5 % de ces prestataires avaient souffert beaucoup plus de dépression, d’anxiété, d’insomnie et de détresse que leurs pairs qui n’avaient pas soigné directement de tels patients1. Aucune étude semblable n’a été menée sur l’impact de la COVID sur la santé mentale des travailleurs de première ligne du Canada. Toutefois, une récente étude portant sur les expériences, les pensées, les craintes et les frustrations des travailleurs de la santé de l’Ontario par rapport à la pandémie a révélé que tous les participants (10 travailleurs de première ligne) ont déclaré s’être sentis anxieux, stressés, en colère et effrayés. Si nous extrapolons ces études à partir de notre expérience avec l’épidémie de SRAS, au cours de laquelle 36 % de notre personnel de santé a connu un niveau de stress élevé, nous pouvons présumer que la COVID-19 aura le même impact, si ce n’est un impact pire encore, car il n’y a actuellement aucun signe que la pandémie sera enrayée dans un proche avenir.
Contrairement à ce qu’il en est pour accroître la capacité physique, il faut beaucoup de temps pour accroître la capacité en ressources humaines dans le domaine de la santé. La formation des médecins, des infirmières et des autres professionnels de la santé est une solution à plus long terme qui va bien au-delà des pressions exercées par la deuxième vague de la pandémie. Il faut donc envisager des solutions plus immédiates et à plus court terme pour commencer à atténuer le stress, l’anxiété et l’épuisement professionnel que ressentent les professionnels des soins de santé du Canada.
Conscients des conséquences néfastes de la pandémie sur nos travailleurs de la santé de première ligne, nous accordons plus d’attention au soutien de leur bien-être physique et mental. Plusieurs organisations médicales ont créé, rassemblé et publié des ressources s’adressant spécifiquement à ce groupe, y compris plusieurs membres de SoinsSantéCAN (Pour y accéder, cliquez sur les logos ci-dessous) :
Ces ressources comprennent notamment de l’autoaiguillage pour les soins de santé mentale; des outils d’autogestion des soins et de gestion de la détresse; des applications sur la santé mentale; des groupes de soutien professionnels qui offrent des séances sur la pleine conscience; des soutiens psychosociaux; et des lignes d’aide.
SoinsSantéCAN, en tant que codirecteur du Réseau de soins de santé mentale de qualité (RSSMQ) avec la Commission de la santé mentale du Canada, est également en train d’élaborer un cadre pour des soins de santé mentale de qualité visant à se concentrer sur la santé mentale en milieu de travail en s’attaquant à la stigmatisation structurelle, en favorisant une pratique orientée sur le rétablissement et en améliorant l’accès à des soins de santé mentale de qualité tant pour les patients que pour les prestataires de soins. Des produits d’information, notamment des constatations importantes et des infographies, sont en cours d’élaboration et seront diffusés plus largement au cours des prochains mois.
Le gouvernement fédéral a également investi des millions de dollars dans la recherche sur la santé mentale et la consommation de substances en contexte de COVID-19, recherche qui est notamment orientée sur des populations prioritaires, comme les travailleurs de première ligne et les travailleurs des soins de santé. La Commission de la santé mentale du Canada a également créé le site Web Espace mieux-être Canada pour offrir des outils d’évaluation, des cours, des applications, des services de consultation et un accès à du soutien immédiat en cas de crise pour les travailleurs de première ligne.
Le conseil d’administration de SoinsSantéCAN a sensibilisé la ministre de la Santé aux impacts du travail pendant la pandémie de COVID-19 sur les travailleurs de première ligne, lors d’une rencontre tenue le 28 octobre. La ministre Hajdu nous a dit qu’elle était bien consciente des problèmes de ressources humaines en santé et qu’elle cherchait des options pour augmenter et renforcer rapidement la capacité. Elle a également exprimé ses préoccupations et ses inquiétudes au sujet de la santé mentale des travailleurs des soins de santé et nous a informés que le gouvernement examine actuellement des mesures visant à inciter ces travailleurs à prendre soin d’eux-mêmes. La ministre a conclu la rencontre en demandant à SoinsSantéCAN de lui présenter quelques idées sur la façon de relever ces défis.
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a tenu des audiences au printemps dernier pour examiner la réponse du gouvernement à la COVID-19. Le Comité a entendu un certain nombre de groupes de populations vulnérables, y compris des prestataires de soins de santé. Les autres groupes vulnérables comprenaient notamment des personnes ayant des problèmes de santé mentale, des enfants et des jeunes, des aînés, des femmes, des personnes vivant en zones rurales, des employés et des détenus d’établissements correctionnels et des représentants d’organismes de bienfaisance. Le Comité a publié un rapport provisoire sur les domaines qui, selon les témoins entendus, ont besoin d’un plus grand soutien fédéral.
Le Comité a été informé que la capacité du système de soins de santé du Canada, ou son manque de capacité, ont eu des incidences néfastes sur les travailleurs de première ligne. Les prestataires de soins de santé ont eu l’impression de se trouver dans une position dangereuse et vulnérable en raison de la pénurie d’équipement de protection individuelle (ÉPI) pendant la première vague de la pandémie. Les personnes qui travaillent dans le système ont mentionné qu’il fallait faire preuve d’une plus grande transparence en matière de production, d’approvisionnement et de distribution d’ÉPI. Selon elles, l’Agence de la santé publique du Canada doit élaborer et diffuser à grande échelle des lignes directrices précises sur l’accès aux ÉPI et sur leur utilisation.
Le système de santé mentale du Canada, déjà sous-financé, manquant de ressources et incapable de répondre à la demande actuelle, sera confronté à des pressions additionnelles, car les populations vulnérables et les prestataires de soins ont besoin d’un plus grand soutien. Le Comité a appris que l’on craint de plus en plus que les travailleurs de première ligne éprouvent un stress post-traumatique semblable à celui des membres actifs des Forces canadiennes.
Le gouvernement peut envisager et mettre en œuvre un certain nombre de mesures pour remédier à la pénurie de travailleurs de la santé, à court et à long terme. Certaines de ces mesures ont été transmises au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
À court terme
À long terme
Alors que le Canada continue de lutter contre la COVID-19, SoinsSantéCAN accorde une importance prioritaire aux efforts visant à remédier à la surcharge du système de santé et à ses incidences néfastes sur les soins aux patients et le bien-être des travailleurs de première ligne. Pour régler ces problèmes, il faudra adopter une approche systémique globale.
Les institutions et les organisations de santé membres de SoinsSantéCAN peuvent jouer un rôle, particulièrement dans l’offre de mesures de soutien et de ressources en santé mentale pour leurs travailleurs de première ligne. Un récent article publié dans le Journal of the American Medical Association décrit bien ce que veulent ces travailleurs : 1) avoir l’assurance que leurs inquiétudes sont reconnues et que les mesures visant à les atténuer sont en train d’être mises en place; et 2) qu’on leur demande ce dont ils ont besoin et que l’on fasse des efforts pour répondre à ces besoins.
Les organisations de soins de santé peuvent soutenir leur personnel de la santé en adoptant diverses mesures, notamment : en créant des canaux permettant de fournir des opinions et des commentaires, comme des groupes d’écoute, une boîte de suggestions par courriel, des assemblées publiques, des tournées de dirigeants; en offrant une formation rapide et un encadrement approprié sur les connaissances essentielles et l’accès à des experts pour les nouveaux prestataires de soins directs; et en fournissant l’accès à des repas sains et à une bonne hydratation, à un hébergement pour les travailleurs qui ont dû prolonger leurs heures de travail, une aide au transport pour ceux qui ont été privés de sommeil, de l’aide au gardiennage, du soutien émotionnel et des contrôles réguliers.
Sur la scène fédérale, SoinsSantéCAN continuera d’attirer l’attention sur les défis que pose la pandémie pour les hôpitaux, les organisations de soins de santé, les centres universitaires des sciences de la santé et leurs travailleurs des soins de santé. Nous continuerons d’exercer des pressions pour que nos membres aient accès aux programmes de financement des infrastructures dans le but d’accroître la capacité physique, de réduire l’énorme empreinte environnementale de nos installations et d’intégrer la préparation à la pandémie dans nos installations de soins de santé.
SoinsSantéCAN est également déterminée à collaborer avec la ministre Hajdu et son personnel pour remédier à la pénurie et assurer le bien-être de nos travailleurs de la santé. Nous continuerons de plaider en faveur d’une hausse des investissements dans la recherche sur les impacts sur la santé mentale à court et à plus long terme de cette pandémie et la mise en place de mesures de soutien, en particulier pour les travailleurs des soins de santé.
Le Canada a besoin d’un système de soins de santé solide. C’est aux premières lignes que se gagneront la bataille contre la COVID-19 et les batailles contre les prochaines pandémies mondiales.
PUBLIÉ
le 20 janvier 2021
POUR PLUS D’INFORMATIONS
Colleen Galasso
Analyste de la recherche et des politiques
cgalasso@healthcarecan.ca
Jonathan Mitchell
Vice-président, Recherche et politiques
jmitchell@healthcarecan.ca